Je l’ai déjà écrit, j’ai à peine connu NDDL. J’ai lu tout ce que je pouvais trouver dessus, j’ai fréquenté des gentes qui y avaient vécu, qui y étaient passé parfois, souvent. J’y étais le 10 février 2018 pour la “fête de la victoire” faisant suite à l’abandon du projet d’aéroport. Je garde des souvenirs très précis de cette journée et ces souvenirs expliquent comment j’ai reçu un livre et un documentaire récent.
C’était donc la fête et le comité de soutien francilien avait mis en place un bus. Direction la zad avec femme, enfant et ami·es. On apprend sur zone qu’il existe un off à l’est de la zone et on va voir là-bas. Je croise plusieurs personnes croisées à Bure les mois précédents et les échos sont tous les mêmes : c’est la merde sur zone et il n’y a rien à fêter. On découvre l’ex route des chicanes, la D281, qui a été nettoyée pour faire plaisir à l’État. Dans l’après-midi, assemblée à la Wardine. Plus de 500 personnes et un silence de plomb pendant les interventions. Une qualité d’écoute et une tension comme j’en ai rarement connues. Les témoignages se suivent et se ressemblent : tous les indésirables sont en train d’être viré·es, leurs habitations détruites et pendant ce temps, les vainqueurs remplissent des fiches pour obtenir de la préfecture des conventions d’occupation précaire. On rentre à Paris un peu déprimé. Tout ça pour ça…

Je n’ai pas été défendre la zad en avril 2018, je n’ai pas eu ce courage. J’ai suivi ça en ligne, j’ai ensuite croisé des personnes qui avaient fait leur possible sur zone. Mais le ménage était déjà fait en grande partie et l’État n’a pas eu grand-mal à nettoyer la zone avant de la normaliser. C’est terrible la vitesse à laquelle tout est rentré dans l’ordre. Certes, la zad n’a jamais été le paradis autonome vanté par certains collectifs mais quand même, c’était l’une des rares expériences politiques un peu stimulantes des dernières décennies.
Retours sur la zad avec un ouvrage pirate tout d’abord : pas d’ISBN, pas de code-barre, pas de mention d’éditeur-trice, d’auteur ou d’autrices, juste une adresse riseup et la précision suivante : “Écrit entre 2020 et 2024”. Ouvrage pirate et bel ouvrage : une série de vingt et un entretiens richement illustrés qui reviennent notamment sur les tous premiers temps de l’occupation (2009-2012) et sur la pseudo-victoire finale (pas d’aéroport et normalisation de la zad). On est très clairement ici dans le versant schlague et anti-appeliste de la zad et les critiques contre les dominants de la lutte sont légion. Deux exemples parmi des dizaines : “La petite clique qui a piloté la fin de la lutte est bien issue du mouvement d’occupation. Elle a su saisir l’occasion pour capitaliser l’imaginaire rebelle et indomptable de la zad, tout en suivant la voie tracée par les organisations citoyennes, agricoles et politiciennes.” (entretien avec Mimi Cracra, page 31) ; “ils [CMDO] ont négocié leurs projets individuels d’entreprises agricoles contre l’expulsion du reste de la zad” (Eli, p. 207). J’ai beau avoir lu beaucoup, c’est peut-être la première fois que je lis des anecdotes aussi détaillées sur le fonctionnement de radio klaxon (entretien avec Toan notamment) et sur la polémique liée à l’émission “La femme de la Zad” (p. 236-237 et p. 337). Il est intéressant de lire aussi comment certains textes ont pu être réécrits par les vainqueurs, comme l’avis de décès de radio klaxon publié sur zad.nadir.org puis réécrit et rendu beaucoup moins offensif. Terminer un avis de décès par “Pouet pouet”, ça n’est pas la même chose que terminer par “C’est la merde qui vient ! […] vive rien ! Nique tout !”. Cette vision de la fin de la zad est un récit possible parmi d’autres, je le trouve plus que convaincant. Les photos sont très belles.

Juin 2024, je reçois un mail d’un assistant de programmation de Shellac. On me propose de visionner un documentaire devant sortir en salles le 20 novembre afin de participer ensuite à une avant-première suivie d’une discussion en présence des réalisateurs. C’est très flatteur d’être sollicité pour une sortie en salles, c’est la première fois que ça m’arrive. Je remercie et accepte sur le principe tant en précisant qu’il y a des collègues qui connaissent bien la zad (Margot Vergier, Sylvaine Bulle, Geneviève Pruvost ou Frédéric Barbe) et qu’iels seraient plus légitimes. Je reçois un lien. Je visionne, en deux fois. Et je décide de ne rien écrire sur Direct Action avant la sortie en salles. La forme me gêne autant que le fond mais c’est bien que ça sorte en salles. Je reçois une invitation pour une avant-première, je décline. Les critiques sont plutôt bonnes (3.5 pour la presse et 3.4 pour les spectateurs sur allo ciné) et le docu vit sa vie, c’est très bien.
Sur la forme : des plans fixes, des gentes qui bossent, sans beaucoup de dialogues et sans aucun commentaire. Des plans fixes de cinq minutes ou plus qui se succèdent pendant 3h30. Le rapport au temps est différent sur la zad, vous comprenez ? C’est un lieu où on agit, on cultive, on coupe du bois, on prend soin des animaux. On fait du pain et des crêpes. On a compris le projet au bout d’un quart d’heure, il reste 3h15. Au milieu, une séquence filmée par drone. Parce que vous comprenez, c’est ultra subversif d’utiliser les outils de surveillance pour filmer les nuages…
Sur le fond : un petit rappel des évacuations d’avril 2018, un texte lu sur les techniques d’interrogatoire des flics puis la vie sur zone. Aussi passionnant que le quotidien de n’importe quels néo-ruraux. Après l’entracte, le quotidien, une réunion pour organiser Sainte-Soline, Sainte-Soline, une discussion sur les Soulèvements de la Terre. En deux mots, pour les réalisateurs, oui la zad reste un lieu subversif de lutte pour le vivant. Oserais-je conclure en disant qu’il s’agit d’un très très long trac visuel pro-Soulèvements ? Oui.
Anonyme. 2024. Histoires de la zad de Notre-Dame-des-Landes. landes@riseup.net. écrit entre 2020 et 2024. Trouvé à Publico (Paris, 11), j’imagine que c’est disponible à Quilombo (Paris, 11 aussi) et dans toutes les librairies un peu gauchistes de l’hexagone.
Cailleau, Guillaume et Russell, Ben. 2024. Direct action. Shellac.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Laurent Beauguitte (8 janvier 2025). Retours à Notre-Dame-des-Landes (lectures, décembre 2024). Espaces et radicalités. Consulté le 13 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/131iq