Une spéciale extrême-droite pour terminer l’année. Et je préfère continuer à ne rien écrire sur la dernière « séquence électorale » (ah que ce terme journalistique me hérisse le poil…) où mon petit milieu professionnel à haut capital culturel a fait preuve d’un racisme de classe à toute épreuve qui m’a rappelé les gilets jaunes.
L’intérêt des vieux bouquins (années 1970, début des années 1980), c’est d’une part qu’on les trouve assez facilement en ligne et d’autre part qu’ils apportent des éclairages sur une époque où l’extrême-droite est crépusculaire, mais où le nazi-porn se porte à merveille, et où le pari de Jean-Marie Le Pen est loin d’être gagné. Concurrencé tant par le PFN (Parti des forces nouvelles, porté disparu depuis) que par Jean Royer, maire de Tours et spécialiste des croisades morales anti-porno, il faut attendre l’élection municipale à Dreux en 1983 et surtout le formidable coup de pouce de Mitterrand et le passage à L’heure de vérité en 1984 pour que le grand public découvre Le Pen père et son talent oratoire.
Il a existé un éditeur publiant des ouvrages sérieux et documentés qui eut l’idée étrange d’intituler une collection « La véritée vraie », les éditeurs sont des gens bizarres… Trève de plaisanterie, le livre Les néo-nazis de Jean-Marc Théolleyre (1982) mérite d’être lu pour plusieurs raisons : une belle évocation du nazi-porn à la mode dans les années 1970 et dont je parlais il y a quelques mois ; de très longs extraits des productions fafs de l’époque commentées de façon convaincante et pas trop moralisatrice et, surtout, un rappel utile de l’ensemble des actions violentes commises par les différents groupuscules de l’époque (commando Delta, groupe Charles Martel, groupe Peiper, GUD, etc.). Le journaliste du Monde auteur de l’ouvrage rappelle également les nombreux liens entre la droite classique et les divers groupuscules d’extrême-droite tout au long des années 1960-1970. À compléter par l’ouvrage de Chombart de Lauwe, Marie-José, Complots contre la démocratie. Les multiples visages du fascisme sorti l’année précédente.
Duprat a été pendant vingt ans, jusqu’à sa mort dans un attentat à la voiture piégée en 1978, l’un des principaux activistes et théoriciens de l’extrême-droite française (voir la biographie signée Lebourg et Beauregard). Il a publié en 1972 une histoire de l’extrême-droite française depuis 1945 qui est souvent citée aujourd’hui encore dans des travaux universitaires et à juste titre. L’ouvrage est précis, documenté, riche en anecdotes – dont on se sent à la lecture lesquelles ont été directement vécues par l’auteur – et pose un diagnostic lucide sur les dizaines de groupuscules qui peinent à inscrire leurs actions dans la durée. On parle d’un temps où les rares tentatives électorales débouchent sur des scores à 2 ou 3 % et où, inversement, le niveau de conflictualité politique (bagarres rangées entre extrême-gauche et extrême-droite, attentats à la bombe) est inimaginable aujourd’hui. Le constat est négatif quasiment de bout en bout (« Cette Histoire des mouvements nationaux est, par la force des choses, le récit d’une suite d’échecs ») et Duprat ne fait preuve d’aucune indulgence envers son camp, par exemple lorsqu’il indique que « les journaux gauchistes sont beaucoup mieux faits et ont un tirage bien plus important, alors que l’Opposition Nationale dispose d’une masse de sympathisants beaucoup plus forte », avant de citer une Dominique Venner, « les nationaux n’aiment pas penser ». Disponible sur les archives d’Anna.






Écrit par deux journalistes, le livre Skinheads, Taggers, Zulus & Co (1990) propose une enquête à Paris et en proche banlieue en 1989-1990. Les entretiens situés en fin d’ouvrage sont intéressants (notamment celui de la jeune femme d’une bande de Belleville), le ton est plutôt moins racoleur que le tout venant sur le sujet. Pour l’anecdote, l’un des boneheads interviewés est l’inévitable Batskin, aka Serge Ayoub, devenu à la fin des années 1980 une mini-star des médias – si vous ne le connaissez pas, le reportage Serge Ayoub et les JNR (1992) disponible sur youtube vaut le détour. Pas pour paniquer à peu de frais devant « le retour des heures les plus sombres de notre histoire » mais pour la disproportion délirante entre le discours journalistique et les forces en présence (10 skins et 3 chiens filmés sur une dalle ou en terrasse…). Journaliste à Lui (!?) et à Paris-Match, Bourseiller signe L’extrême-droite. L’enquête en 1991. La tentative de faire un panorama des différents courants idéologiques est assez peu convaincante, la situation ayant de fait peu changé depuis le pronostic de Duprat : le FN de Le Pen (père) est avant tout pragmatique et son idéologie se résume à une poignée de slogans électoralement payants ; les courant autres sont trop minoritaires pour jouer le moindre rôle. Là encore, ce sont les témoignages en fin d’ouvrage qui donnent un peu de chair et un petit intérêt au livre.
Saut à Montréal avec l’ouvrage Les skinheads et l’extrême-droite (1990) qui est un ouvrage sérieux, documenté et qui, une fois n’est pas coutume, questionne de façon pertinente le rôle des médias et des journalistes. La partie consacrée à la France n’apprend rien de nouveau mais le cas québécois lui mérite le détour : on y suit pas à pas et quartier par quartier le développement de la sous-culture naziskin (boutiques, événements, liens avec les USA) et, en réaction, le développement de l’anti-fascisme stimulé par la tournée des Bérus en 1989. Plusieurs citations d’activistes néo-nazis soulignent le caractère groupusculaire de leurs actions et la disproportion entre leur capacité de nuisance et leur impact médiatique. L’extrême-droite fait vendre, qu’elle soit aux portes du pouvoir ou à moins de 1% des voix. La conclusion des auteurs me paraît garder sa pertinence : « Après plus d’une décennie de domination des idées conservatrices, il n’est pas étonnant de constater que des jeunes expriment “l’air du temps” sous une forme radicale » (p. 128).
Direction la côte Est des États-Unis avec l’autobiographie de Christian Picciolini (2015) dont les faits d’armes au sein de la scène White Power (leader naziskin régional, chanteur des groupes White American Youth et Final Solution) concernent la fin des années 1980 et le début des années 1990. On a affaire à un témoignage de repenti, Picciolini ayant créé en 2010, le jour de l’anniversaire de la mort de Martin Luther King, l’association Life after Hate visant à lutter contre l’extrêmisme violent. Picciolini réussit à trouver la bonne distance et raconte ses années adolescentes et brutales de façon honnête, sans voyeurisme, sans moralisme non plus. La description des relations avec le label allemand Rock-O-Rama est très drôle : les musiciens enregistrent, signent un contrat dans une langue qu’ils ne comprennent pas, ne touchent pas un cent ensuite, pas même des disques gratuits pour la promotion. Quand Picciolini rencontre le responsable, il s’aperçoit que ce dernier n’est même pas raciste mais est là pour le fric (I quickly realized wasn’t even a racist. Seemed he didn’t give a damn about much of anything but making money.). La fin de son parcours naziskin est particulièrement intéressante : ayant ouvert une boutique de disques (white power mais pas seulement), il sympathise avec des personnes qu’il n’est pas censé apprécier (des noirs, des juifs, des homos, etc.). Quant à savoir pourquoi Joan Jett préface l’ouvrage, il faut attendre la fin de l’histoire…
Il y a des ouvrages qui échappent à la critique, celui de Jean-Paul Bourre (1999) consacré à l’ésotérisme SS en fait partie. Mal construit, mal écrit, compilant des faits historiques plus ou moins avérés et des interprétations ésotérico-mythologiques tirées par les cheveux (j’euphémise), l’ouvrage est avant tout un prétexte pour publier des photos de SS et de croix gammées. Ce type de productions avait un petit public avant internet, j’imagine que ce n’est plus guère le cas aujourd’hui où l’on trouve à peu près tout en ligne. Le catalogue de certains éditeurs contemporains s’inscrit pourtant dans la droite ligne de ce filon éditorial.
Comment je choisis mes lectures ? J’emprunte des livres sur des sujets qui m’intéressent. Je note des réréfences. J’emprunte ces références, et ça ne finit jamais. Et c’est comme ça que je me retrouve à lire un ouvrage d’un communicant (Raphaël Llorca) d’un think-thank macroniste publié chez l’aube (sans doute l’éditeur de sciences sociales dont le catalogue ressemble le plus à un filet d’eau tiède) dans une collection dirigée par Jean Viard (mais si, le type qui a été sociologue il y a longtemps et qui maintenant raconte à peu près n’importe quoi chaque semaine sur Inter). C’est écrit gros, ça se lit vite, ça s’oublie pareil. Comme l’ouvrage de Laurent Joly évoqué il y a quelques mois, il surestime à mon avis l’effet Zemmour. Il y a une petite métaphore filée tout au long du texte sur le masque et le carnaval, pourquoi pas. Par contre, ce qui est écrit sur les séries (pages 79 et sq) montre une méconnaissance à peu près totale de cet objet qui n’a pas attendu Netflix et 2022 pour occuper une place essentielle dans la culture contemporaine. Mais ça permet à l’auteur de mettre Netflix dans le titre, j’imagine que c’était l’objectif. Dispensable.
Références
Bourre, Jean-Paul. Le Graal et l’Ordre noir. Documents pour l’histoire. Éditions Déterna, 1999.
Bourseiller, Christophe. Extrême-droite. L’enquête. François Bourin, 1991.
Chombart de Lauwe, Marie-José. Complots contre la démocratie. Les multiples visages du fascisme. F.N.D.I.R.P. (Fédération nationale des déportés et internés réistants et patriotes), 1981.
Duprat, François. Les mouvements d’extrême-droite en France depuis 1944. Les éditions Albatros, 1972.
Hubert, Daniel, et Claudé, Yves. Les skinheads et l’extrême-droite. Montréal: vlb éditeur, 1990.
Lebourg, Nicolas, et Beauregard, Joseph. François Duprat. L’homme qui inventa le Front national. Impacts. Denoël, 2012.
Llorca, Raphaël. Les nouveaux masques de l’extrême-droite. La radicalité à l’ère Netflix. Monde en cours. L’aube, 2022.
Louis, Patrick, et Prinaz, Laurent. Skinheads, Taggers, Zulus & Co. Paris: La Table Ronde, 1990.
Picciolini, Christian. Romantic Violence. Memoirs of an American Skinhead. Chicago: Goldmill Group, 2015.
Théolleyre, Jean-Marc. Les néo-nazis. La vérité vraie. Messidor/Temps actuels, 1982.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Laurent Beauguitte (11 décembre 2024). Spéciale fafs (lectures, novembre 2024). Espaces et radicalités. Consulté le 13 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12w4y