Depuis des années, je suis étonné par la difficulté des militant·es – quelle que soit la cause – à connaître et à s’inspirer des luttes passées. Si Act-Up Paris a su au début des années 1990 marquer son temps, c’est évidemment en raison de l’urgence de la situation pour les personnes touchées par le sida, c’est aussi me semble-t-il parce que les trois créateurs ont pris le temps de s’intéresser aux répertoires d’actions de luttes autres (voir le beau témoignage de Didier Lestrade, Act-Up Une histoire paru chez Denoël en 2000 et réédité en 2017 après la sortie de 120 battements par minute).
Les picketings devant le Palais de justice étaient une déclinaison directe des folles de mai, les die-in venaient des campagnes de sécurité routière, etc. etc. Avoir un regard large concernant la gamme des causes militantes et leur profondeur historique est sans doute un moyen de trouver des modes d’action un peu efficaces. Et chaque fois que j’encadre des masterant·es sur des sujets militants, je les invite à lire et à se documenter sur les luttes passées. Il est intéressant aussi de se rappeler les luttes victorieuses comme celle de Marckolsheim (1974) dont je n’avais encore jamais entendu parler. Si vous êtes dans le même cas, quelques ressources en ligne pour se rappeler que l’occupation illégale de terrains privés était et reste un utile moyen de lutte contre les projets absurdes qui nous entourent.
https://www.mitwelt.org/marckolsheim-cwm-occupation.html
On trouve sur le site de l’INA un sujet tiré de l’émission La France défigurée du 20 octobre 1974 intitulé Installation usine polluante à Marckolsheim. Un mot sur La France défigurée, émission écologiste diffusée sur la première chaîne (bientôt TF1) de 1971 à 1978 et brièvement revenue sur France 2 en 1995. On trouve une poignée de reportages sur youtube, 12 résultats sur le site de l’INA (ah, si un jour ce truc pouvait ouvrir ses archives…). Par contre, si vous cherchez du côté d’archive.org, vous tomberez sur une chaîne faf confidentielle plus récente. Pour plus de précisions, voir l’article de Thibault Le Hégarat (2015), La France défigurée, première émission d’écologie à la télévision, Le Temps des médias, 25(2), 200-213.
Bouazzouni, Nora. Mangez les riches. La lutte des classes passe par l’assiette. Le poing sur la table. Nourriturfu, 2023.
3e livre de l’autrice dans cette même collection et premier que je lis. Ouvrage très documenté, sourcé, avec un joli contraste entre le fond (Attac, Monde diplo, Bourdieu) et la forme, l’écriture adoptant un style décontracté de youtubeuse truffé de jeux de mots (j’aime beaucoup “Salade tomates pognon”). 150 pages pour aborder tour à tour “les subventions, les cantines, l’élevage intensif, l’agro-business, le capital culinaire, la sécurité alimentaire, le brevetage du vivant ou encore le monopole du bon goût”. De belles pages sur le rapport à la nourriture des enfants en fonction de la classe sociale et le rôle des marques pour les classes dominées. La troisième partie, Capital coolinaire, mobilise de façon convaincante la notion de capital pour décrypter les tendances culinaires récentes.
Panthère première, numéro 09, printemps 2024
J’ai déjà évoqué l’excellent trimestriel féministe Panthère Première dans un billet précédent. Le numéro 9 (printemps 2024) est une fois encore une jolie réussite, tant au niveau esthétique (illustrations de Frédérique Rusch) que des articles en eux-mêmes. Bon dossier sur les mondes paysans au travail. Chaudement recommandé une fois encore. Et n’hésitez pas à visiter leur site qui propose des contenus tout aussi intéressants comme cet entretien avec des militantes de l’indispensable Clashes (Collectif anti-sexiste de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur).

Deux brochures utiles pour terminer les lectures de ce mois-ci.
Le Guide de survie numérique à l’usage des militant·es, élaboré sur la Zad du Carnet en 2020/2021 et mis à jour en juin 2024. Bien documenté, nombreuses ressources utiles. Conseillé aussi aux non-militant·es qui tiennent à ce que leurs données personnelles le restent un peu – on parle bien de survie.
Grosse flemme de l’hétérofem, fanzine radical lesbien qui analyse Réinventer l’amour de Mona Chollet d’une part et la Tribune pour la liberté d’importuner de l’autre. Le rapprochement surprend et les autrices veulent montrer que les deux textes peuvent être qualifiés d’hétéroféministes. On est dans le registre du pamphlet et non dans celui de l’analyse historique mais du pamphlet drôle (ah ces illustrations !) et stimulant. Les définitions du mot croisé final valent le détour (“Un barbu qui a dit deux-trois trucs cool sur le capitalisme et tout”).
Enfin, un dernier lien, tiré de la brochure précédente : https://remuernotremerde.poivron.org/. Plein de textes de longueur variable avec des titres qui donnent très envie d’aller plus loin, comme ce formidable Tu pisseras moins. Comment militer sans faire pleurer le compagnon fragile ?
Aubervilliers, 5 novembre 2024
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Laurent Beauguitte (5 novembre 2024). Se souvenir des luttes, manger les riches, tacler l’hétéroféminisme (lectures, octobre 2024). Espaces et radicalités. Consulté le 13 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12mgo