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Wikipédia, fafs, SS & Cie (lectures, août 2024)

Wikipédia est un objet parfois utile, qui offre de multiples possibilités d’analyse et qui, un peu comme Twitter/X, propose des contenus souvent consternants. Son choix éditorial assumé est la non création de toute information originale, il s’agit en effet d’une compilation de données sourcées, de préférence dans les médias dominants. Comme l’écrivait Marie-Noëlle Doutreix dans sa thèse en 2018, « il s’agit de retraiter l’information déjà publiée sans « faire du terrain ». Or l’interdiction de travail à caractère inédit dans Wikipédia empêche les wikipédiens d’effectuer des recherches empiriques pour les restreindre à la compilation d’informations ou de connaissances révélées par d’autres. » (p. 38).

Doutreix, Marie-Noëlle. Wikipédia, encyclopédie et site d’actualités. Qualité de l’information et normes collaboratives d’un média en ligne. Thèse en Sciences de l’Information et de la Communication, Paris 3, 2018. Thèse qui semble ne pas être disponible en ligne (mais pourquoi ?).

Il est amusant de voir mes sujets de recherche, sujets très minoritaires, faire peu à peu leur entrée dans le Wikipédia francophone.

Créée en mars 2023, la page National socialist black metal est plutôt correcte au départ (Histoire, Classification et distribution), nuancée, argumentée. Ensuite, ça se gâte et les affirmations stupides s’enchainent (« de nombreux concerts et manifestations sont organisés à travers la Scandinavie, l’Europe de l’Est, l’Europe de l’Ouest, l’Asie ou encore les Amériques » ; « [le] public black metal qui en général prône plutôt un retour aux racines et aux valeurs de la nature, et éprouve souvent une fascination pour les Vikings ») avant une liste discutable et forcément incomplète des « principaux » groupes – c’est moi qui ajoute les guillemets, on parle de groupes dont la plupart ont une audience proche de 0. Bon, Burzum – qui n’est pas un groupe NSBM, contrairement à ce qu’on peut souvent lire – n’est pas dans la liste, c’est déjà ça.

Il existe depuis octobre 2023 une page Rap d’extrême droite et, honnêtement, on peut douter de la pertinence d’une telle page. Ok, les médias mainstream aiment crier au loup et braquer régulièrement les projecteurs sur des artistes faf rap mais il faut être sérieux, on reste dans la sous-culture ultra-minoritaire à l’impact quasi nul. Un paragraphe dans l’article ne veut à peu près rien dire mais comme il me cite, je suis sans doute en partie responsable (« Le featuring permet de lier des relations avec d’autres rappeurs d’extrême-droite à l’étranger. Plusieurs militants d’extrême droite sont aussi invités par Kroc Blanc, tel que Serge Ayoub. Malgré son retrait du monde de la musique, il [là, il ne s’agit plus d’Ayoub – qui a invité KB et non l’inverse – mais de Goldofaf] reste populaire auprès des sympathisants du Rassemblement national, de Civitas, de SOS Chrétiens d’Orient et néofascistes. »)

Autre page récente (création en février 2024), l’article Call of Terror est à peu près bien documenté – même si je persiste à considérer que Peste noire ou Baise ma hache ne sont pas des groupes de black metal néonazis – fascistes oui, néonazis non, ce n’est pas exactement la même chose me semble-t-il. Qu’un festival français à dominante NSBM parvienne à atteindre les 5 éditions est certes un exploit mais on reste ici encore dans les phénomènes groupusculaires. La page française sur l’équivalent ukrainien Asgardsrei (non clandestin et qui attire une audience un peu plus élevée, même si on reste en dessous du millier de personnes) est beaucoup moins documentée (voir la page en espagnol pour avoir la programmation) ; aucune page par contre pour l’homologue italien Hot shower, plus ancien festival européen NSBM à ce jour (première édition en 2012) mais qui, lui aussi, n’a jamais attirée plus de quelques centaines de personnes.

Trève de wikipédia, petit détour vers des ouvrages consacrés à l’extrême-droite et empruntés à la bibliothèque municipale la plus proche de mon domicile.

Certes, cela fait partie du jeu de l’essai mais les formules à l’emporte-pièce vieillissent mal. Commencer un court texte par la phrase “Nous sommes entrés, depuis quelques mois, dans une situation politique exceptionnelle » n’apporte rien à la démonstration de Luc Boltanski et Arnaud Esquerre (2014, Vers l’extrême. Extension des domaines de la droite. Éditions dehors). Le texte a dix ans et l’on pourrait évidemment ressortir très souvent cette phrase – en remplaçant peut-être politique par électoral. Ce qui est étonnant avec ce texte, c’est de réaliser à quel point, si le vocabulaire évolue, les stratégies rhétoriques réactionnaires restent les mêmes et continuent, hélas, à être rentables. Remplacez par exemple les termes « pensée unique » et « prêt à penser » (p. 21-22) par wokisme et les remarques des auteurs s’appliquent très bien aujourd’hui à tout un pan des médias fafs. Essai agréable, rapide à lire mais qui apporte peu d’éclairages originaux.

C’est évident, quand on est spécialiste d’un sujet donné, c’est très agaçant d’entendre régulièrement des bêtises sur le sujet. Quand la personne débitant des bêtises se présente aux présidentielles et se voit créditée d’un score élevé, comment résister à la tentation de remettre les pendules à l’heure ? C’est ce que tente Laurent Joly, historien spécialiste du régime de Vichy dans l’ouvrage La falsification de l’histoire. Éric Zemmour, l’extrême-droite, Vichy et les juifs paru chez Grasset en 2022. Il y a deux parties distinctes dans l’ouvrage : une partie passionnante sur l’historiographie de la question juive et du régime de Vichy, avec un démontage en règle de la fable usée jusqu’à la corde du glaive (de Gaulle) et du bouclier (Pétain) ; une partie sans intérêt visant à « lutter contre ». Je n’ai pas grand-chose à dire sur la première si ce n’est que l’institution universitaire sait récompenser les crapules : voir les pages consacrées à l’Histoire de Vichy de Dreyfus paru chez Perrin en 1990, l’auteur est condamné pour « contrefaçon partielle » en 1992 mais élu dans la foulée prof à la Sorbonne… Concernant l’aspect anti-Zemmour, l’ouvrage est moins convaincant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’importance de la candidature est surestimée dès l’introduction (p. 9 « il est certain que la campagne présidentielle de 2022 aura été marquée par l’émergence d’Éric Zemmour sur la scène politique française » ou p. 33 « Jamais, dans l’histoire politique de la France depuis deux cents ans, un tel profil d’écrivain-doctrinaire marqué à l’extrême-droite n’a été en mesure de jouer un rôle de premier plan. »). Plus gênant, le procès fait à Zemmour pourrait être fait sans problème à n’importe quel·le homme ou femme politique se présentant à des élections et dont le but n’est évidemment pas de respecter une quelconque réalité historique mais d’être élu·e. Une phrase comme « Ses certitudes, la violence et la radicalité de ses partis pris expliquent fondamentalement son succès, son audience : lui détient la vérité, a réponse à tout, sait où aller et ce qu’il faut faire pour « sauver le pays ». (page 29) pourrait s’appliquer à beaucoup de candidat·es. Et si « vérifier les rares références citées par l’essayiste-« historien » amène invariablement à constater des biais de lecture ou des occultations délibérées » (p. 110), il est fort probable mener le même travail sur des discours politiques d’autres courants donnerait un résultat équivalent.

Magal, Marylou, et Massol, Nicolas. L’extrême-droite, nouvelle génération. Enquête au cœur de la jeunesse identitaire. Denoël, 2024.
Deux journalistes spécialisées dans le suivi de l’extrême-droite à L’Express et à Libération proposent une étude des jeunes identitaires en version Gala/Voici. Qui boit des coups où et avec qui et comment iels sont coiffés, habillées, qui sort avec qui ; si ces aspects vous intéressent, le livre peut être utile. Il le serait un petit peu plus avec un index des noms propres et une chronologie synthétique digne de ce nom. Le terme enquête me paraît abusif mais c’est sans doute un réflexe corporatiste de ma part. Quant à la thèse centrale du livre – les jeunes de droite et d’extrême-droite se connaissent donc ils vont finir par s’allier -, l’actualité électorale récente ne plaide guère en sa faveur.

Je quitte la bibliothèque municipale et retourne à la bibliothèque universitaire pour évoquer trois derniers livres.

L’ouvrage consacré à la SERP (maison de disque cofondée par JM Le Pen) est une petite merveille. Précis, documenté, pertinent, puissant dans les archives, les notes de disque, l’iconographie et les témoignages des principaux acteurs, Jonathan Thomas montre comment Le Pen a su utiliser sa maison de disques pour en faire un utile instrument de combat politique. Chaudement recommandé. Jonathan Thomas, 2020, La propagande par le disque. Jean-Marie Le Pen, éditeur phonographique. Éditions de l’EHESS, collection Cas de figure.

Travaillant ces temps-ci sur les groupes de RAC français de la décennie 1984-1994, je lis des ouvrages à succès que les artistes étudiés ont pu lire ou feuilleter dans les bibliothèques familiales. Les ouvrages de Saint-Loup, parus aux Presses de la cité, et parfois réédités en Livre de poche dans les années 1970, sont des textes vaguement historiques à la gloire des engagés dans la SS. Un peu de documentation historique, quelques scènes de sexe plus grotesques les unes que les autres, d’innombrables « scènes de bravoure » montrant l’héroïsme de ces jeunes hommes, on est dans le nazi-porn totalement décomplexé et qui a connu son heure de gloire. Un peu surprenant à lire aujourd’hui, c’est un euphémisme. Plus sobre et en apparence plus neutre, paru d’ailleurs chez des éditeurs sérieux, les ouvrages de Jean Mabire gomment les aspects érotiques, romancent moins les situations (malgré des pages de dialogue évidemment inventées de A à Z) mais, si la forme diffère, le fond reste brun et loue le courage et l’héroïsme SS. Pour les personnes curieuses, plusieurs ouvrages de ces deux auteurs sont disponibles sur archive.org et sur zlibrary.

Saint-Loup. Les hérétiques. Presses de la Cité, 1965.
Mabire, Jean. Panzers SS dans l’enfer normand. « Hohenstaufen » et « Frundsberg » pendant l’été 1944. Fayard, 1986.

Aubervilliers, 4 septembre 2024


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Laurent Beauguitte (4 septembre 2024). Wikipédia, fafs, SS & Cie (lectures, août 2024). Espaces et radicalités. Consulté le 12 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/128ys


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