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Insubordinations, treillis et luttes pour l’An demain (lectures, juillet 2024)

Les éditions universitaires, j’ai plutôt tendance à les considérer comme des reliques dispensables du siècle passé. Tirages confidentiels, tarifs prohibitifs, ces ouvrages ont pour seule clientèle les bibliothèques, universitaires elles aussi. Bien entendu, cet a priori est en partie lié à mon ancrage disciplinaire : il n’est pas attendu d’un ou d’une géographe qu’iel valorise sa thèse dans un ouvrage, ce qui semble rester le cas en sociologie ou en histoire. Mais, quand je sors de la bibliothèque du campus Condorcet le mois dernier en ayant emprunté six livres, le fait que trois soient parus aux Presses universitaires de Rennes indique que oui, certaines éditions universitaires tiennent la route et proposent un riche catalogue.

Vigna, Xavier. L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines. Presses Universitaires de Rennes, 2007.

Ouvrage passionnant sur les luttes ouvrières à la fin des prétendues “trente glorieuses” qui n’ont pas été uniquement les années de la bétonisation et de la nucléarisation à marche forcée du territoire français mais aussi une période avec des conditions de travail catastrophiques (sécurité, usure physique) et des conditions de logement indignes, notamment pour les travailleurs étrangers. L’ouvrage rappelle la prégnance dans le monde ouvrier et syndical du racisme et le caractère généralisé de l’homophobie. L’analyse de l’attitude du syndicat majoritaire (CGT) collaborant avec les autorités et le patronat pour se débarrasser des gauchistes vus comme des dépravés est passionnante (voir notamment la visite de Krasucki à la faculté de Vincennes). L’étude des “grèves productives”, dont LIP est le seul cas à être entré dans la mémoire collective, est tout aussi intéressante.

L’autonomie italienne peut faire rêver et il est donc utile de confronter ses fantasmes avec les textes de l’époque, comme ce petit ouvrage paru chez 10/18 en 1976 signé Yann Collonges et Pierre Georges Randal, Les autoréductions. Grèves d’usagers et luttes de classes en France et en Italie (1972-1976). L’autonomie a été un mouvement de masse qui a su s’imposer dans les grands centres urbains et industriels, Turin et Milan en tête, malgré l’opposition des syndicats et des autorités. Sabotages, attentats ciblés, grève des loyers, des transports ou des factures, furent des moyens d’action employés à grande échelle ; la répression patronale et politique furent tout aussi massives. Les rares exemples donnés pour le cas français montre à l’inverse la faiblesse de ces pratiques dans l’hexagone.

François Lamark, 2024, Des treillis dans les labos. La recherche scientifique au service de l’armée. Grenoble, Le monde à l’envers.

Le monde à l’envers est un formidable éditeur grenoblois à qui l’on doit de fortes belles publications, que ce soit les 13 numéros du trimestriel De tout bois sur la zad de Roybon (2014-2021) ou l’ouvrage de Nicolas Bonanni et Margaux Capelier, Grenoble Calling. Une histoire orale du punk dans une ville de province (2021). Le tout petit ouvrage de François Lamark, membre du collectif Grothendieck, dénonce le rôle de Grenoble dans le complexe militaro-industriel français (derrière Saclay et Toulouse) et pointe les liens entre recherche scientifique et industrie d’armement. L’aspect documentaire tient en une quinzaine de pages et les quarante autres pages nous répètent que la guerre c’est mal, que vendre des armes à des régimes totalitaires, ce n’est pas bien et que la banalité du mal, c’est aussi mener des recherches utilisables par ces industries. Sur le sujet, voyez plutôt le blog très documenté stopmicro38.noblogs.org ou, plus généraliste, le site obsarm.info.

Le cirque électoral étant provisoirement terminé, place au cirque capitaliste sportif et à ses multiples dérives immobilières et sécuritaires. Pour une vision d’ensemble des dégâts liés au JOP, après la version 1 sortie en novembre 2023, voici la version 2 (avril 2024) de la Carte des saccages des JOP 2024.

L’empaillé, trimestriel, n13, 4 euros. Site : https://lempaille.fr/

Déniché dans l’une de mes librairies parisiennes favorites, un trimestriel papier documentant les luttes (écologistes, antifascistes, féministes, etc.) dans le Sud-Ouest. 40 pages pleins d’infos sur l’A69, le bassin d’Arcachon, les projets contestés à Luzech et à Albas (vallée du Lot). On trouve également un état des lieux complet des groupuscules identitaires dans la région et un papier sur la Coordination Rurale 47 (syndicat agricole radical, anti-écolo et très à droite). Les textes font parfois preuve d’une réflexivité minimale, presse militante pour militant·es oblige. Une exception majeure : les pages consacrées à l’occupation de la Maison du peuple à Toulouse au printemps 2023. Luttes de pouvoir, violences physiques, violences sexuelles, addictions, un constat lucide et bienvenu sur une initiative forte.

C’est grâce à ce journal que je suis tombé sur le formidable livre L’An demain du collectif Chômeuses go on (j’adore ce nom). J’admire les militantes qui, partant d’un constat désespéré sur le monde actuel, parviennent à en tirer des pépites pleines d’humour et de tendresse. Le coup de cœur du mois, haut la main.

Aubervilliers, 22 juillet 2024


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Laurent Beauguitte (25 juillet 2024). Insubordinations, treillis et luttes pour l’An demain (lectures, juillet 2024). Espaces et radicalités. Consulté le 14 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1235c


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